Voici peu, la scène
économique en Europe faisait penser au
titre du beau livre de Erich Maria Remarque « À l’Ouest, rien de nouveau ».
C’était
le calme plat, les taux d’intérêt en France, à 2,14 % (contre 4,9 % pour
l’Italie et 5,9 % pour l’Espagne), restaient historiquement bas, les marchés
étaient muets comme des carpes, comme s’il avait suffi que l’inoubliable
Sarkozy quitte la scène politique et que
le bon docteur Gallois apporte la clef des songes pour que tout rentre dans l’ordre, comme avant. Mais
n’était-ce pas le calme avant la tempête ? Et ne sommes-nous pas, en
réalité, dans l’œil du cyclone ?
Car
deux coups du destin (il manque le 3°
qui va surement se faire entendre) sont venus nous rappeler désagréablement à
la réalité. C’est d’abord la énième demande d’aide de la Grèce sur fond de
manifestations réclamant le versement d’une tranche d’aide supplémentaire (44
milliards d’ici la fin de l’année) et faisant apparaître un nouveau « trou »
de quelque31 milliards d’euros de plus, avec, bien sûr, une demande d’allongement des
délais de remboursement. La dette atteindra alors 175 % du PIB avant de
progresser vers 200%. Mais comme le disait avec sagesse le sapeur
Camembert : « passées les bornes, il n’y a plus de
limites ».Cette comédie, faut-il le rappeler, perdure depuis plus deux ans
avec un rituel bruxellois désormais bien au point. Ce qui fait enrager Christine
Lagarde. Revenue au bon sens depuis qu’elle a quitté les Finances pour s’installer
commodément sur les berges du Potomac, elle
a miraculeusement retrouvé la raison. Mieux qu’à Lourdes. Tout cela pour nous
remettre en mémoire que la crise de l’euro n’est nullement réglée et que la Grèce est un puits sans fond.
Le
2°coup est l’annonce que le Moody’s, (suivie dans l’instant par l’INCRA, une
nouvelle agence de notation) avait abaissé notre note d’u cran au triple AAA, et cela moins de quinze
jours après la publication du rapport Gallois. Les ingrats ! A croire que ces agences de
notation ne savent pas lire le bon français et déchiffrer les excellentes
intentions de notre gouvernement.
La
vérité est que ces agences ont fini par voir ce qui crevait les yeux depuis
belle lurette : la situation de
l’économie française est absolument désastreuse, avec 10,8 % de chômeurs, la perte de
750 000 emplois industriels en 10 ans, un déficit budgétaire de 4,5 %. Le
solde de la balance commerciale hors énergie est passé de +25 milliards à -25
milliards ; nos parts de marché à l’exportation sont tombées de 12,7% à
9,3 % ; la part de l’industrie dans la valeur ajoutée a reculé de 18 % à
12,5 %. Du jamais vu. Sans compter un endettement extérieur qui continue de croître gaîment (86 % du PIB fin 2011,
avec une augmentation de 500 milliards sous Nicolas Sarkozy), mais le tout aimablement camouflé sous le voile protecteur
de l’euro, c’est à dire de l’Allemagne.
En
revanche les Français sont champions du
monde pour les vacances et la durée du travail. Au surplus, nous accueillons,
bon an mal an, quelque 250 000
immigrés, la plupart futurs chômeurs
ou assistés sociaux. Quel bonheur de venir vivre en France.
Le
rapport Gallois avait pour objet de remédier à cette situation catastrophique.
Il comporte 22 mesures, toutes pertinentes. Mais la mesure phare est l’allégement
des charges de l’entreprise, ramenée dans le Pacte national pour la croissance,
la compétitivité et l’emploi élaboré par le gouvernement à 20 milliards (au lieu de 30) et étalés sur 3 ans
(au lieu d’une application sur une seule année en 2013). L’objectif est,
noblement, de créer un « nouveau
modèle de croissance » pour la France. Le mot est joli. Mais pour l’instant le « choc » est sur le
papier et dans les esprits. Tout va
dépendre de sa mise en application.
On
doit à la vérité de dire que ce rapport, mais surtout la suite
que le gouvernement se propose de
lui donner suscite déjà un certain scepticisme qui se justifie par deux raisons: Trop peu,
trop tard.
Trop
peu : remplacer un allègement fiscal par un crédit d’impôt n’est pas neutre.
Surtout quand cet allègement indirect ne porte que sur 20 milliards d’euros au
lieu de 30. Ce n’est plus de la thérapie de choc mais de la médecine douce.
Trop
tard : Là encore, étaler sur deux ou trois
ans l’application du rapport Gallois au lieu de le mettre en application
dès 2013 a pour résultat de diluer dans le temps le résultat à attendre de
cette mesure qui risque d’avoir, au
mieux, un effet amorti et différé.
Le
jugement qui vient à l’esprit est, bien sûr : « c’est bien, mais peut
mieux faire ».
On
comprend bien les raisons pour lesquelles
le gouvernement Ayrault a agi ainsi.
Il est manifeste que l’électorat de gauche
(comme celui de droite, grand Dieux, qui ne comprend rien à l’économie, voit
d’un très mauvais œil le gouvernement s’engager
insidieusement sur la voie de l’austérité. Et encore n’a-t-il encore rien vu. Attendons 2013. Le Premier Ministre doit donc
louvoyer avec prudence pour ne pas sombrer dans une situation politique
ingérable avec un taux d’approbation inférieur à 20 %, proche de la crise politique
majeure.
Par
ailleurs, Il faut reconnaître honnêtement
que François Hollande a eu malgré tout un certain mérite, et un courage certain de commanditer le rapport
Gallois et de le rendre public. Ce que son malheureux prédécesseur à l’Élysée,
obsédé par l’élection à venir, s’était bien gardé de faire. Paradoxalement, aujourd’hui, c’est la Gauche qui fait la leçon à la
droite. Car augmenter les impôts, réduire la consommation de ménages pour
alléger les charges de l’entreprise
pour l’inciter à investir et à
embaucher relève de la plus stricte orthodoxie économique. La Droite ne l’a pas
fait. Il est vrai, ce qui est consolant, qu’elle est la plus bête du monde.
Ceci
étant, il est évident que même si le gouvernement parvient à faire avaler la
pilule au PS, tout ne sera pas réglé pour autant. Car il manque à ce dispositif
des réformes structurelles sans lequel ce programme risque fort de rester
inopérant : c’est l’abandon des funestes 35 heures, la flexibilité du
marché du travail, la réforme des retraites, des dépenses de santé, et
par-dessus tout, la réduction des dépenses publiques, que sais-je encore. Quand
on sait que les seules dépenses de protection sociale accumulées, gouvernements
après gouvernements depuis 30 ans
représentent jusqu’à 32% du PIB, on mesure mieux la montagne qui reste à
gravir.
En
dehors de cela, il y a le risque de
voir la France s’engager à son tour dans
une « spirale déflationniste à la grecque » : la réduction des
revenus des ménages engendre une chute de leur consommation et de leurs
dépenses ; ce qui réduit leur demande à
l’entreprise ; qui voit son
chiffres d’affaire chuter ; ce qui ne l’incite pas vraiment à investir ni
à embaucher. Le risque est réel. Il est
inhérent à tout plan d’assainissement
quelque peu rigoureux . Mais comment l’éviter ?
On ajoutera que le bol d’oxygène ainsi accordé aux entreprises ne va pas forcément
les amener à embaucher. Rappelons-nous le célèbre dégrèvement de la
TVA en faveur de la restauration et l’hôtellerie. On sait que bien des entreprises ont purement et
simplement mis ce bonus dans leur poche sans embaucher le moindrement du
monde. Ce scénario peut parfaitement se répéter.
Par
ailleurs, ce dispositif sera-t-il
vraiment mis en œuvre ? Car les résistances seront rudes, chaque
féodalités se battant bec et ongles pour conserver leur fonds de commerce,
associations, entreprises publiques, hôpitaux etc ; etc.
C’est
tellement vrai que nos amis allemands, sournoisement, dans notre dos, sans
qu’on leur demande rien, ont commencé à mette la main à un plan de réformes
économiques pour la France (le coupable est Wolfgang Schäuble, le ministre des
finances). Une honte, un scandale comme
l’aurait dit le regretté Georges Marchais en son temps. De quoi faire bondir
Marie-France Garraud arrachée par cette monstruosité à l’élevage des lapins angoras en Vendée.
Alors
que penser ? En réalité, tout cela relève largement du théâtre d'ombres.
La
France adore les grands rapports qui ne sont jamais mis en oeuvre (sauf, du temps
de de Gaulle, avec le rapport Rueff-Armand de 1959). La vie économique en France
est un cimetière de rapports : rapport Pébereau, rapport Camdessus,
rapport Attali et j'en passe et des meilleurs. (J'en ai bien vécu une bonne
demi-douzaine quand je n’y ai pas mis la main à la pâte).
On
y retrouve depuis 30 ans, exactement les
mêmes ingrédients, les mêmes propositions de réforme, (coût du travail,
durée du travail, rigidité du marché du travail, protection sociale excessive,
chômage, retraites, dépense publique démesurée, etc. etc.), toujours proposées,
jamais appliquées.
La
raison en est que la France a horreur des
réformes, car la réforme fait mal, et les Français sont douillets et frileux.
Au surplus, les politiques n'ont aucune envie, on ne sait pourquoi, de perdre la
prochaine élection, (comme le pauvre Schröder en Allemagne). Et il y en a
toujours une à l’horizon dans notre bienheureux pays. Il faut donc noyer le poisson.
Le rapport Gallois
fera-t-il exception ?
En
bon radical socialiste, François Hollande louvoie mollement entre les récifs en
étant attentif à n'exaspérer aucun groupe de pression dangereux au-delà d'une
certaine limite (son taux d’approbation est
tombé à 36 %, la cote d’alerte), et en distrayant l'opinion publique
avec ces épouvantails que sont le mariage homo et le vote des étrangers. Cela
détourne l'attention du public, pour un temps.
Nous
verrons bien si ce bluff va opérer.
Si
le « choc de compétitivité rate », il n’y a pas de plan B de
rechange. La France ira de crise en crise, avec une croissance molle, des taux
d’intérêt intenables, un chômage
insupportable, et vraisemblablement une inflation alimentée par les déficits et l’endettement.
Bref, un ratage complet. Jusqu’à ce que tout saute : le couple franco -allemand,
l’euro etc. Un scenario catastrophe de cette nature n’est nullement à exclure.
Hollande
a encore l'occasion de devenir un grand président de la République, celui du
redressement national, qui conçoit et conduit la réforme. Il se pourrait qu'il
soit en train de la perdre à force d’atermoiements de demi-mesures et de compromissions.
Auquel cas, il sera bien, en définitive, le petit bonhomme
médiocre que tout le monde redoutait. Il a encore une chance. Mais pas pour très
longtemps.